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Le Chat Raconté

mercredi 23 juillet 2003, par CatChat

Quand l’homme parle des animaux, c’est toujours un peu de lui-même qu’il parle. Et lorsqu’il s’agit d’une espèce domestique, c’est à dire dont il a diversifié les milieux de vie selon ses propres critères, et non selon les choix spontanés de l’animal, orienté les caractères en choisissant soigneusement les reproducteurs plutôt qu’en laissant faire la nature, c’est d’une certaine façon « son oeuvre » qu’il examine. Il devrait donc être enclin à n’en dire que du bien...

Si c’est bien le cas en ce qui concerne le chien, compagnon fidèle et dévoué, le chat est loin de rallier tous les suffrages. Rien d’aussi tranché, en effet, avec ce félin, à commencer par sa domestication dont l’histoire conserve bien des zones d’ombre et dont on n’est pas vraiment sûr qu’elle soit tout à fait accomplie...
Le chat n’est jamais devenu totalement notre objet. Sans doute est-ce l’une des raisons pour lesquelles il ne laisse personne indifférent, déclenchant tout autant de passion chez les cattophiles que chez les cattophobes. « Jamais chat n’entrera dans ma chambre ! » s’écriait Ronsard, qui avait ces animaux en horreur. Les défenseurs de Titi contre Gros-Minet, de Jerry contre Tom, s’expriment aujourd’hui avec autant de fougue : en témoigne le succès médiatique de la bande dessinée américaine intitulé A Hundred and One Uses of a Dead Cat (Bond, 1981), avec plus de 600 000 exemplaires vendus aux Etats Unis en quelques mois, ou encore I Hate Cats Book ou The Cat Hater’s Handbook (Van de Castle, 1983). Le chien, qui obéissait à la voix de son maître bien avant l’arrivée du chat, jamais n’a suscité cette allergie féroce.

Qu’on l’aime ou qu’on l’abhorre, force est de constater que le chat est omniprésent dans nos sociétés occidentales. Toutes les fermes abritent au moins un chat, plus souvent une petite colonie. Il a adopté nos descentes de lit et les coussins du salon, et même les laboratoires de recherche ont trouvé intérêt à son étude. Mais parallèlement nous vivons entourés de chats revenus à la vie sauvage et qui, à l’occasion, gardent des interactions et des échanges avec nos compagnons. Voilà une particularité qu’aucun autre animal domestique et sauvage, présent et absent, visible et caché, familier et secret, social et solitaire, est lui-même porteur d’ambivalence.

Pour dépasser cette opposition, il faut d’abord comprendre l’animal, savoir comment il fonctionne, quelles sont ses habitudes quand on le laisse libre avec ses congénères ; le regarder ensuite vivre avec nous et enfin tenter de saisir le mystère de ce félin qui fascine ; voilà le cheminement qui nous attend dans cette page.


Ainsi sont-ils


Un univers particulier

Profitant d’une fenêtre ouverte, un chaton s’échappe sur le toit et file le long de la gouttière. Un matou qui somnolait tranquillement sur le tapis du salon, se lève brusquement, franchit la fenêtre à son tour et ramène le petit imprudent dans la maison. L’adulte a-t-il senti le danger ? Comment a-t-il su que le jeune était sorti et comment a-t-il fait pour le retrouver si vite ? Sixième sens ? L’explication est plus simple : le chaton, manquant d’expérience, a été pris de vertige quand il s’est agi de faire demi-tour. Sans doute a-t-il poussé un cri de détresse qui aura alerté et orienté la réaction de l’adulte. Mais ce cri appartenait à la gamme des ultrasons, si bien que nous n’avons rien entendu : notre univers n’est pas celui du chat. De même, s’il nous semble inexplicablement attiré par un endroit du jardin ou par tel recoin de la grange, c’est que notre olfaction émoussée ignore les odeurs qui s’y trouvent et les précieux renseignements qu’elles livrent à propos des chats qui sont passés là quelques heures ou quelques jours plus tôt. Pour ce qui est de la vision et des sensations tactiles, il nous est beaucoup plus faciles de pénétrer l’univers félin : il suffit pour cela d’oublier les couleurs (imaginons une nuit de pleine lune), et... de marcher les bras tendus afin d’éviter les obstacles, comme l’animal utilise ses vibrisses. Ainsi donc, en approfondissant nos connaissances de l’univers perceptuel du chat, et avec quelques efforts d’imagination, il devient possible de se faire une idée assez juste du monde dans lequel il vit.

Une double personnalité

Fidèle à son image faite de contradictions, le chat semble capable de faire chaque chose et son contraire. Apprécié par son silence, il peut se lancer dans des concerts de miaulements à n’en plus finir. Roulé en boule sur le canapé, plongé dans un sommeil profond, il peut soudain faire preuve d’une activité débordante, entamer une course folle, grimper au sommet d’un arbre, sauter d’une hauteur impensable et retomber sus ses pattes, ou bien rester penaud, ne sachant comment descendre. Toutes griffes dehors devant sa proie, ou lorsqu’il se sent menacé, il redevient câlin pour se frotter contre nos jambes, retrouve sa jeunesse pour jouer avec un bouchon, s’absorbe avec le plus grand sérieux dans une toilette complète. Bref, il sait nous attendrir, mais aussi nous dérouter lorsqu’il poursuit une proie imaginaire, qu’il passe brusquement d’une occupation à une autre, ou que la simple absorption d’herbe-à-chat le plonge dans une transe mystérieuse.


Un solitaire parmi les siens


Un félin comme les autres ?

Tête ronde, oreilles courtes, corps souple et silencieux, le félin avance doucement, calmement. Et brusquement le nez s’abaisse, la proie est proche. L’avance est stoppée. Puis, après un petit affût, elle reprend, très lente et tendue jusqu’au bond final. La proie, aplatie sous les pattes avant, est tenue par les griffes et massacrée par de puissantes carnassières. Tous les félins chassent et se ressemblent. Tous sont faits de ce mélange de calme et d’agilité, de délicatesse et de puissance, de tendresse et de férocité. Mais notre chat est le seul félin apprivoisé, un félin qui a le sens du compromis : solitaire dans l’âme, comme son cousin le chat sauvage, il sait s’adapter lorsqu’il est abandonné à lui-même, à la campagne comme à la ville. Contrairement à d’autres espèces devenues totalement dépendantes de l’homme, il n’a jamais perdu sa capacité à se nourrir seul. Et dans ce domaine également il fait preuve d’une grande souplesse, tirant profit aussi bien des proies animales que de nos dépôts d’ordures, d’herbes grignotées au passage que de croquettes artificielles, de l’eau de la rivière que du lait donné par la fermière.

Les chats entre eux

Les félins présentent une grande diversité d’organisation sociale, et il est bien difficile de dire comment vivait le chat avant d’être domestique. On peut s’en faire une idée en étudiant les colonies de chats revenus à la vie sauvage. Quand il s’agit de colonies peuplant les îles relativement inhospitalières ou des régions de bois et de landes, il est très rare de rencontrer plusieurs chats adultes ensemble, en particulier quand ils chassent. Mais dans les villes, à proximité des sources de nourriture, les animaux font preuve d’une grande capacité de tolérance mutuelle. Des études fines de comportement montrent qu’ils disposent de systèmes de marquage qui les autorisent à passer les uns après les autres aux mêmes endroits, gérant à la fois l’espace et le temps. Cette double compétence à la vie territoriale solitaire et à la promiscuité est assez rare dans le règne animal et a sans doute contribué à la colonisation de milieux très différents par cette espèce.

Sexualité et reproduction

Les rencontres entre les sexes ne motivent particulièrement les animaux que pendant les chaleurs de la femelle. Les chats ne font pas exception à la règle et ne se retrouvent que lorsque les mâles sont attirés par les bruyantes démonstrations des femelles ou par les traces odorantes laissées un peu partout. Ce sont en fait les seuls moments d’intense vie sociale des chats adultes, et les seules interactions entre mâles. Si ces confrontations sont parfois à haut risque, elles donnent rarement lieu à de véritables combats, car elles sont plus centrées sur l’activité que sur les congénères de même sexe, et quelques attitudes de menace sont suffisantes pour maintenir les indésirables à l’écart. C’est dans leur activité maternelle que les chattes se montrent les plus sociales, capables d’élever collectivement des jeunes de plusieurs portées.


Un difficile apprivoisement


Les origines

Il semble que les communautés humaines sédentaires aient apprivoisé des animaux très tôt dans leur histoire, peut-être 20 000 ans avant J.-C. Pour que l’homme décide d’apprivoiser une espèce animale, il faut d’abord qu’elle présente à ses yeux un certain intérêt. Il faut ensuite que l’animal se laisse approcher, manipuler, qu’il supporte la promiscuité due aux conditions d’élevage, que son régime alimentaire ne soit pas strict... Beaucoup de critères qui expliquent que l’éventail des animaux apprivoisés soit finalement assez réduit. Le chat possède toutes les qualités, et si l’on ne sait à qui attribuer précisément sa domestication, il est certain que celle-ci est relativement récente. Utile, il l’est de multiples manières, à commencer par ses capacités de chasseur de rats et de souris. Sur les navires même, la protection des vivres lui fut souvent confiée, et sans doute est-ce grâce aux navigateurs que se fit son introduction en Europe. Aujourd’hui encore, il limite les populations de rats autour des décharges d’ordures, dans les vides sanitaires des immeubles ou près des poubelles de nos villes.

Des chats pour nous plaire

Le devenir de l’animal domestiqué est d’être un objet conforme à nos désirs. Le moyen en est la sélection génétique, technique consistant à ne faire participer à la reproduction que les sujets porteurs de caractères qui nous intéressent. Les chats ne sont sélectionnés que depuis peu de temps, et uniquement sur des critères esthétiques (parfois discutables) : couleur et aspect du pelage, longueur ou absence de la queue, couleur des yeux... Les races sont aujourd’hui assez peu nombreuses et peu diversifiées, surtout si l’on songe aux innombrables races canines allant du chihuahua au dogue allemand, du caniche au labrador. Mais même quand nous ne nous mêlons pas d’élevage, nos exigences à l’égard du chat sont sans limites : non seulement nous lui demandons de se contenter des quelques mètres carrés d’un appartement, de plier ses rythmes d’activités aux nôtres, d’ingurgiter des aliments synthétiques et inodores, mais, de plus, si son mode de communication olfactive nous incommode trop, si nous refusons de nous laisser envahir par des portées de chatons, nous le livrons au vétérinaire pour une castration qui, certes, augmente sa longévité, mais ne l’en prive pas moins d’un bon nombre d’émois.

Le chat pour l’homme

L’intérêt des hommes pour les animaux de compagnie est très ancien. Depuis fort longtemps, c’est le chien qui a tenu cette place. Symbole de fidélité, de loyauté, d’obéissance, il nous comble par son affection démonstrative et par le pouvoir que nous avons sur ses comportements.
A l’opposé, le chat semble ne pas avoir de maîtres, tout au plus des gens qui le nourrissent et le réchauffent quand il en a décidé ainsi. Impossible à dresser, rebelle, il n’en fait qu’à sa tête. Si le chien se contente d’une tape affectueuse, le chat appelle une caresse bien différente : douce, rythmée, langoureuse, elle se fait vite sensuelle et troublante. Mais cet animal si câlin ne songe qu’à fuguer, et il nous faut sans cesse mériter sa compagnie, gagner son attachement, assurer son bien-être.
Il s’agit cette fois de posséder un félin, un proche cousin du lion et de la panthère, animaux mystérieux et puissants, sauvages parmi les sauvages. Le cinéma et la télévision, par de magnifiques reportages, nous ont donné le goût d’une nature libre, et les animaux enfermés et confinés dans les zoos ont perdu leur attrait. Mais nous n’avons pas pour autant les moyens, la patience ou le temps d’aller les observer nous-mêmes. Nous voulons cette nature à notre disposition, accessible, présente, à portée de nos sens. Sans doute ce désir de côtoyer la vie sauvage est-il pour quelque chose dans le fait que le chat supplante aujourd’hui le chien comme animal de compagnie dans les pays développés. Si cette relative sauvagerie séduit les uns, elle déroute les autres. C’est parce qu’il reste largement imprévisible que le chat n’est pas tout à fait domestiqué et que beaucoup le disent « fourbe ».

L’homme pour le chat

Tenter de voir avec les yeux d’un être qui ne nous parle pas est un véritable défi. C’est pourtant celui qui se pose à l’éthologiste qui cherche à comprendre ce qui fait agir les animaux. Héritiers de Darwin et des philosophes du développement industriel du siècle dernier, nous avons le plus souvent décrit les animaux sauvages comme ayant seulement deux buts dans la vie : manger et se reproduire, le premier n’étant bien souvent compris que comme une étape vers le second. L’observation fine et prolongée du chat sauvage ou du lion nous révèle pourtant que ces deux occupations ne prennent guère plus de la moitié de leur temps. A partir du moment où nous pouvons l’élever, le cajoler quand il est jeune, l’habituer tôt à notre présence, d’autres processeurs que la simple attirance pour une source de nourriture se mettent en place, que les éthologistes appellent attachement. En général, à cause des nécessités de la lactation, les jeunes mammifères sont élevés uniquement par leur mère. C’est donc elle, son image, sa voix, son odeur qui s’imprimeront dans le cerveau du nouveau-né.
Mais l’attachement ne se limite pas aux êtres animés. Le lieu ne naissance, le cadre, l’entour - et le propriétaire du chat en fait partie - vont constituer pour l’animal une sorte de base rassurante, rappelant les premières heures vécues à l’abri de la chaleur maternelle. Peut-être est-ce surtout pour cela que le chat nous est fidèle. Pour la très grande majorité des animaux, il est probable que les éléments du paysage, ce que nous appelons « objets », ne conservent pas une signification constante au cours du temps, car cela nécessiterait d’abstraire ces objets - ou ces êtres - des actions dans lesquelles ils sont investis. Il est plus probable que l’entour de l’animal soit fait des éléments nécessaires à son action. Les objets ne prennent de sens que par rapport à cette action : l’homme est tour à tour objet-à-frotter, objet-qui-nourrit, objet-chaud-et-caressant. Mais quand il est objet-à-frotter il ne diffère pas fondamentalement du pied de table ou du congénère-à-frotter. Si l’homme convient au chat, c’est donc en partie parce qu’il le nourrit, parce qu’il fait partie de son environnement de naissance, mais surtout parce qu’il convient à ses actions. Ce qui oblige l’homme à être « convenable », la reconnaissance du chat est à ce prix.


Dieux et diables


Un objet de culte

De tous les peuples ayant adopté le chat dans l’Antiquité, les Egyptiens sont certainement celui qui lui voua le plus profond respect. Divinisé sous les traits de la déesse Baster, symbole de féminité et de fertilité, ou Chat-Lumière assurant le retour du soleil après la nuit, le chat d’Egypte possède un statut enviable. Momifié, embaumé, l’animal jouit d’une telle considération que l’on rapporte qu’il fut responsable de la victoire des Perses à Pelouse : les assiégeants s’étant avancés en brandissant chacun un chat vivant en guise de bouclier, les Egyptiens capitulèrent sans oser riposter. La célèbre légende de Mahomet, qui préféra couper sa manche plutôt que de troubler le sommeil de l’animal qui s’y était endormi, témoigne d’un respect semblable. Chez les hindous, la loi de Manou précise que « celui qui a tué un chat doit se retirer au milieu de la forêt et se consacrer à la vie des bêtes jusqu’à ce qu’il soit purifié ».

Un suppôt de Satan

En partie à cause de ses liens avec les anciennes déesses païennes, le chat devient sous l’influence de l’Eglise chrétienne un redoutable agent du diable. Au XIIIe siècle, l’Inquisition représente les hérétiques vénérant le diable sous la forme d’un chat noir. Les sorcières se métamorphosent en chats pour venir à la nuit perpétrer leurs crimes et fêter leurs sabbats. Le Moyen Age marque ainsi le début d’une longue période de terribles persécutions : dans toute l’Europe, aux jours de fête, les chats sont pourchassés dans les rues, torturés, empalés, précipités du haut des tours, jetés vivants dans les flammes des bûchers. Cette haine ne va pas sans une part de misogynie, car féminité et félinité sont unies dans les mêmes clichés de sexualité débordante, de fourberie, de sauvagerie indomptable.

Artistes et intellectuels

Ce caractère rebelle ne pouvait manquer de séduire ceux-là mêmes qui se reconnaissaient en lui. A l’exemple du Chat botté, qui cesse de courir les souris, le chat domestique gagne au XVIIIe siècle ses galons d’animal de compagnie, avant de devenir symbole d’indépendance au XIXe siècle, à l’époque où se construit l’image de l’artiste du penseur détaché du mécénat de la Cour. Simple figurant des Cènes de la Renaissance italienne, il voit sa représentation évoluer sous le pinceau des plus grands, de Toulouse-Lautrec à Paul Klee. Compagnon silencieux, témoin des longues nuits à la recherche de l’inspiration, le chat est plus que tout autre animal ami des savants, des musiciens, des écrivains, des poètes. Joachim du Bellay, à la mort de son chat Belaud, ne cacha pas son chagrin : « Et j’ai perdu depuis trois jours / Mon bien, mon plaisir, mes amours... / A peu que le coeur ne m’en crève... »

Gilles LE PAPE

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